II
PREMIÈRES INTERVENTIONS SUR LA QUESTION DE LA RÉSISTANCE

 

 

L'analyse la première fois.

Matérialité du discours.

Analyse de l'analyse.

Mégalomanie de Freud ?

 

 

1

 

Après l'exposé d'O. Mannoni.

 

On peut remercier très vivement Mannoni qui vient de faire l'ouverture la plus heureuse à la reprise du dialogue du séminaire. Néanmoins, sa tendance est nettement phénoménologique, et je ne pense pas que la solution soit tout à fait de la forme qu'il nous laisse entrevoir – il l'a lui-même senti. Mais c'est bien d'avoir posé la question comme il l'a fait, en parlant d'un mécanisme inter-personnel, quoique le mot de mécanisme ne soit qu'approximatif de cette occasion.

 

2

Interruption, au cours de l'exposé de D. Anzieu.

 

Freud explique, à propos de Lucie R., qu'il avait recours à la pression des mains quand il n'obtenait qu'une hypnose incomplète. Il dit ensuite avoir cessé de se faire du souci à ce sujet, et avoir même renoncé à obtenir du sujet, selon la méthode classique, la réponse à la question dormez-vous ? car il avait le désagrément de s'entendre répondre mais non, je ne dors absolument pas – ce qui le mettait lui-même dans une situation fort embarrassante. Il explique, d'une façon naïve et charmante, qu'il était amené à persuader le sujet qu'il ne parlait pas du même sommeil que celui à propos duquel l'autre donnait sa réponse, et que celui-ci devait être quand même un peu endormi. Aux confins de la plus parfaite ambiguïté, il dit très nettement que tout cela le mettait dans un grand embarras, dont il n'est venu à bout que du jour où il ne s'en est plus soucié.

Mais il a maintenu la pression des mains, soit sur le front, soit de chaque côté de la tête, et il invitait en même temps le patient à se concentrer sur la cause du symptôme. C'était là un stade intermédiaire entre le dialogue et l'hypnose. Les symptômes étaient traités un à un, en eux-mêmes, affrontés directement comme des problèmes proposés. Sous les mains de Freud, le patient était assuré que les souvenirs qui allaient se présenter étaient ceux qui étaient en cause, et qu'il n'avait qu'à s'y fier. Et Freud ajoutait ce détail, que ce serait au moment où il lèverait ses mains – mimique de la levée de la barrière – que le patient deviendrait parfaitement conscient, et n'aurait qu'à prendre ce qui se présenterait à son esprit pour être sûr de tenir le bon bout du fil.

Il est assez remarquable que cette méthode se soit avérée, pour les cas que Freud nous rapporte, parfaitement efficace. En effet, le cas de Lucie R., si joli, a été entièrement résolu, et avec une aisance qui a la beauté des oeuvres des primitifs. Dans tout nouveau que l'on découvre, il y a un hasard heureux, une heureuse conjonction des dieux. Avec Anna O., au contraire, nous sommes en présence d'un long travail de working-through, qui se présente avec toute l'animation et l'épaisseur des cas d'analyse les plus modernes, malgré la méthode employée – plusieurs fois, toute la série d'événements, toute l'histoire, est revécue, ré-élaborée. Il s'agit d'une oeuvre de longue portée, qui dure près d'une année. Dans le cas de Lucie R., les choses vont beaucoup plus vite, avec une élégance qui en fait quelque chose de saisissant. Les choses sont, sans doute, trop resserrées, et ne nous permettent pas de voir vraiment où sont les ressorts, mais c'est quand même tout à fait utilisable. Cette femme a eu ce qu'on peut appeler des hallucinations olfactives, symptômes hystériques, et la signification en est détectée, endroits et dates, de façon tout à fait heureuse. Freud nous donne à cette occasion tous les détails sur sa façon d'opérer.

 

3

 

Idem.

 

J'ai déjà mis l'accent sur le caractère tout à fait privilégié des cas traités par Freud, en raison du caractère spécial de sa technique. Ce qu'elle était, nous ne pouvons que le présumer, par un certain nombre de règles, qu'il nous a données, et qui ont été fidèlement appliquées. De l'aveu des meilleurs auteurs, et de ceux qui ont connu Freud, on ne peut se faire pleinement une idée de la façon dont il appliquait la technique.

J'insiste sur le fait que Freud s'avançait dans une recherche qui n'est pas marquée du même style, que les autres recherches scientifiques. Son domaine est celui de la vérité du sujet. La recherche de la vérité n'est pas entièrement réductible à la recherche objective, et même objectivante, de la méthode scientifique commune. Il s'agit de la réalisation de la vérité du sujet, comme d'une dimension propre qui doit être détachée dans son originalité par rapport à la notion même de la réalité – j'y ai mis l'accent dans toutes les leçons de cette année.

Freud était engagé dans la recherche d'une vérité qui l'intéressait lui-même totalement jusque dans sa personne, donc aussi dans sa présence au malade, dans son activité, disons, de thérapeute – encore que le terme soit tout à fait insuffisant pour qualifier son attitude. Au dire de Freud lui-même, cet intérêt a donné à ses rapports avec ses malades un caractère absolument singulier.

Certes, l'analyse comme science est toujours une science du particulier. La réalisation d'une analyse est toujours un cas singulier, même si ces cas singuliers prêtent tout de même à quelque généralité, depuis qu'il y a plus d'un analyste. Mais l'expérience analytique avec Freud représente la singularité portée à son extrême, du fait que lui était en train de construire et de vérifier l'analyse elle-même. Nous ne pouvons pas effacer ce fait, que c'était la première fois qu'on faisait une analyse. La méthode sans doute s'en déduit, mais elle n'est méthode que pour les autres. Freud, lui, n'appliquait pas une méthode. Si nous négligions le caractère unique, inaugural, de sa démarche, nous ferions une faute grave.

L'analyse est une expérience du particulier. L'expérience vraiment originale de ce particulier prend donc une valeur encore plus singulière. Si nous ne soulignons pas la différence qu'il y a entre cette première fois, et tout ce qui a suivi ensuite, nous qui nous intéressons, non point tant à cette vérité qu'à la constitution des voies d'accès à cette vérité, nous ne pourrons jamais saisir le sens qu'il faut donner à certaines phrases, certains textes, émergeant dans l'oeuvre de Freud, et qui prennent par la suite, dans d'autres contextes, un sens tout différent, encore qu'on pourrait les considérer comme calqués l'un sur l'autre.

C'est l'intérêt de ces commentaires de textes freudiens que de nous permettre de suivre dans le détail des questions qui – vous le verrez, vous le voyez déjà aujourd'hui – sont d'une importance considérable. Elles sont nombreuses, insidieuses, c'est à proprement parler le type même de question que le souci de tout un chacun est d'éviter, pour se fier à une ritournelle, à une formule schématique, abrégée, imagée.

 

 

4

 

D. Anzieu cite un passage des Études sur l'hystérie, pages 233-234 de la traduction française. Interruption.

 

Ce qu'il y a de frappant dans le passage que vous invoquez, c'est qu'il décolle de la métaphore pseudo-anatomique évoquée lorsque Freud parle des images verbales déambulant le long des conducteurs nerveux. Ici, ce qui s'est stratifié autour du noyau pathogène évoque une liasse de documents, une partition à plusieurs registres. Ces métaphores tendent invinciblement à suggérer la matérialisation de la parole, non pas la matérialisation mythique des neurologistes, mais une matérialisation concrète – la parole se met à couler dans du feuillet manuscrit imprimé. La métaphore de la page blanche, du palimpseste, vient aussi à son tour. Elle est venue depuis à la plume de plus d'un analyste.

La notion se présente ici de plusieurs strates longitudinales, c'est-à-dire de plusieurs fils de discours. On les imagine dans le texte qui les matérialise sous la forme de faisceaux littéralement concrets. Il y a un courant de paroles parallèles, et celles-ci s'élargissent à un certain moment pour entourer ce fameux noyau pathogène qui, lui aussi, est une histoire, s'en écartent pour l'inclure et se rejoignent un peu plus loin.

Le phénomène de la résistance est là exactement situé. Il y a deux sens, un sens longitudinal et un sens radial. La résistance s'exerce dans le sens radial, quand on veut se rapprocher des fils qui sont au centre du faisceau. Elle est la conséquence de la tentative de passer des registres extérieurs vers le centre. Une force de répulsion positive s'exerce à partir du noyau refoulé, et quand on s'efforce d'atteindre les fils de discours qui en sont les plus rapprochés, on éprouve de la résistance. Freud va même jusqu'à écrire, non pas dans les Etudes, mais dans un texte ultérieur, publié sous le titre Métapsychologie, que la force de résistance est inversement proportionnelle à la distance où l'on se trouve du noyau refoulé.

Je ne crois pas que ce soit la phrase exacte, mais elle est très frappante. Elle rend évidente la matérialisation de la résistance telle qu'on l'appréhende au cours de l'expérience, et précisément, comme le disait tout à l'heure Mannoni, dans le discours du sujet. Pour savoir où ça se passe, où est le support matériel, biologique, Freud prend carrément le discours comme une réalité en tant que telle, une réalité qui est là, liasse, faisceau de preuves comme on dit aussi, faisceau de discours juxtaposés qui les uns les autres se recouvrent, se suivent, forment une dimension, une épaisseur, un dossier.

Freud ne disposait pas encore de la notion de support matériel de la parole, isolé comme tel. De nos jours, il aurait pris comme élément de sa métaphore la succession de phonèmes qui composent une partie du discours du sujet. Il dirait qu'on rencontre une résistance d'autant plus grande que le sujet se rapproche davantage d'un discours qui serait le dernier et le bon, mais qu'il refuse absolument.

Dans l'effort de synthèse que vous faites, ce qui n'est peut-être pas mis en relief, c'est une question qui est pourtant au premier plan s'agissant de la résistance – la question des rapports de l'inconscient et du conscient. La résistance est-elle un phénomène qui se passe dans l'analyse seulement ? Ou est-ce quelque chose dont nous pouvons parler quand le sujet se promène en dehors de l'analyse, et même avant qu'il y vienne, ou après qu'il l'a quittée ? Est-ce que la résistance continue à avoir son sens en dehors de l'analyse ?

Il y a un texte sur la résistance qui est dans l'analyse des rêves, auquel vous ne vous êtes référé ni l'un ni l'autre, et qui donne pourtant l'assomption à certains des problèmes que vous vous êtes posés l'un et l'autre, car Freud s'y interroge sur le caractère d'inaccessibilité de l'inconscient. Les notions de résistance sont extrêmement anciennes. Et dès l'origine, dès les premières recherches de Freud, la résistance est liée à la notion de l'ego. Mais quand on lit dans le texte des Studien certaines phrases saisissantes où il s'agit non seulement de l'ego comme tel, mais de l'ego comme représentant la masse idéationnelle, on s'aperçoit que la notion de l'ego laisse déjà pressentir chez Freud tous les problèmes qu'elle nous pose maintenant. Je dirais presque que c'est une notion à effet rétroactif. A lire ces choses premières à la lumière de ce qui s'est développé depuis autour de l'ego, il semble même que les formulations les plus récentes masquent, plutôt qu'elles ne mettent en évidence.

Vous ne pouvez pas ne pas voir dans cette formule, la masse idéationnelle, quelque chose qui voisine singulièrement avec une formule que j'ai pu vous donner, à savoir que le contre-transfert n'est rien d'autre que la fonction de l'ego de l'analyste, ce que j'ai appelé la somme des préjugés de l'analyste. Aussi bien, on trouve chez le patient, toute une organisation de certitudes, de croyances, de coordonnées, de références, qui constituent à proprement parler ce que Freud appelait dès l'origine un système idéationnel, et que nous pouvons de façon abrégée appeler ici le système.

Est-ce que la résistance vient uniquement de là? Quand, à la limite de ce domaine de la parole qui est justement la masse idéationnelle du moi, je vous représentais la somme de silence après quoi une autre parole reparaît, celle qu'il s'agit de reconquérir dans l'inconscient car elle est cette part du sujet séparée de son histoire – est-ce là la résistance ? Est-ce, oui ou non, purement et simplement, l'organisation du moi qui, en tant que telle, constitue la résistance ? Est-ce cela qui fait la difficulté de l'accès au contenu de l'inconscient dans le sens radial – pour employer le terme de Freud? Voilà une question toute simple, trop simple, comme telle insoluble.

Heureusement, au cours des trente premières années de ce siècle, la technique analytique a assez progressé, elle a abordé assez de phases expérimentales pour différencier ses questions. Vous le voyez, nous sommes ramenés à ceci – dont je vous ai dit que ce serait le modèle de notre recherche – il faut poser que l'évolution, les avatars de l'expérience analytique nous renseignent sur la nature même de cette expérience, en tant qu'elle est aussi une expérience humaine, à elle-même masquée. C'est là appliquer à l'analyse elle-même le schéma qu'elle nous a enseigné. Après tout, n'est-elle pas elle-même un détour pour accéder à l'inconscient? C'est aussi porter au second degré le problème qui nous est posé par la névrose. Je ne fais ici que l'affirmer, vous le verrez se démontrer en même temps que notre examen.

Qu'est-ce que je veux ? – sinon sortir de cette véritable impasse, mentale et pratique, à laquelle aboutit actuellement l'analyse. Vous voyez que je vais loin dans la formulation de ce que je dis – il importe de soumettre l'analyse même au schéma opérationnel qu'elle nous a appris et qui consiste à lire dans les différentes phases de son élaboration théorico-technique de quoi aller plus avant dans la reconquête de la réalité authentique de l'inconscient par le sujet.

Cette méthode nous fera dépasser de beaucoup le simple catalogue formel de procédés ou de catégories conceptuelles. La reprise de l'analyse dans un examen lui-même analytique est une démarche qui révélera sa fécondité à propos de la technique, comme elle l'a déjà révélée à propos des textes cliniques de Freud.

 

5

 

Interventions au cours de la discussion.

 

Les textes psychanalytiques fourmillent d'impropriétés méthodiques. Il y a là des thèmes difficiles à traiter, à verbaliser, sans donner au verbe un sujet, aussi lisons-nous tout le temps que l'ego pousse le signal de l'angoisse, manie l'instinct de vie, l'instinct de mort – on ne sait plus où est le central, l'aiguilleur, l'aiguille. Tout cela est scabreux. Nous voyons tout le temps des petits démons de Maxwell apparaître dans le texte analytique, qui sont d'une prévoyance, d'une intelligence... L'ennuyeux est que les analystes n'ont pas une idée assez précise de la nature des démons.

Nous sommes là pour voir ce que signifie l'évocation de la notion de l'ego d'un bout à l'autre de l'oeuvre de Freud. Il est impossible de comprendre ce que représente cette notion telle qu'elle a commencé à surgir avec les travaux de 1920, avec les études sur la psychologie de groupe et Das Ich und das Es, si l'on commence par tout noyer dans une somme générale, sous prétexte qu'il s'agit d'appréhender un certain versant du psychisme. L'ego, dans l'oeuvre de Freud, ce n'est pas du tout ça. Ça a un rôle fonctionnel, lié à des nécessités techniques.

Le triumvirat qui fonctionne à New York, Hartmann, Loewenstein et Kris, dans sa tentative actuelle d'élaborer une psychologie de l'ego, se demande tout le temps – qu'est-ce qu'a voulu dire Freud dans sa dernière théorie de l'ego? Est-ce qu'on en a jusqu'à présent vraiment tiré les implications techniques ? Je ne traduis pas, je ne fais que répéter ce qui est dans les deux ou trois derniers articles de Hartmann. Dans le Psychoanalytic Quarterly de 1951 vous trouverez trois articles de Loewenstein, Kris et Hartmann sur ce sujet, qui valent d'être lus. On ne peut pas dire qu'ils aboutissent à une formulation pleinement satisfaisante, mais ils cherchent dans ce sens, et posent des principes théoriques qui comportent des applications techniques très importantes, qui selon eux n'avaient pas été aperçues. Il est très curieux de suivre ce travail qui s'élabore à travers des articles qu'on voit se succéder depuis quelques années, spécialement depuis la fin de la guerre. Je crois qu'il se manifeste là un échec très significatif, et qui doit être pour nous instructif.

En tout cas, il y a un monde de parcouru entre l'ego tel qu'on en parle dans les Studien, masse idéationnelle, contenu d'idéations, et la dernière théorie de l'ego, encore problématique pour nous, telle qu'elle a été forgée par Freud lui-même à partir de 1920. Entre les deux, il y a ce champ central que nous sommes en train d'étudier.

Comment est-elle venue à jour, cette dernière théorie de l'ego ? C'est la pointe de l'élaboration théorique de Freud, une théorie extraordinairement originale et nouvelle. Pourtant, sous la plume d'Hartmann, elle se présente comme si elle tendait de toutes ses forces à rejoindre la psychologie classique.

Les deux choses sont vraies. Cette théorie, Kris l'écrit, fait entrer la psychanalyse dans la psychologie générale, et, en même temps, elle apporte une nouveauté sans précédent. Paradoxe que nous serons amenés à mettre ici en valeur, soit que nous poursuivions jusqu'aux vacances avec les écrits techniques, soit que nous abordions le même problème avec les écrits de Schreber.

 

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Dans l'article de Bergman, Germinal cell, ce qui est donné comme la cellule germinale de l'observation analytique, c'est la notion de retrouvailles et de restitution du passé. Il se réfère aux Studien über Hysterie pour montrer que Freud jusqu'à la fin de son oeuvre, jusqu'aux dernières expressions de sa pensée, maintient toujours au premier plan cette notion du passé, sous mille formes, et surtout sous la forme de la reconstruction. Dans cet article, l'expérience de la résistance n'est donc nullement considérée comme centrale.

 

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M. Hyppolite fait allusion au fait que les travaux anatomiques de Freud peuvent être considérés comme des réussites, et ont été sanctionnés comme tels. Par contre, quand il s'est mis à opérer sur le plan physiologique, il semble avoir manifesté un certain désintérêt. C'est une des raisons pour lesquelles il n'a pas approfondi la portée de la découverte de la cocaïne. Son investigation physiologique a été molle, parce qu'elle est restée toute proche de la thérapeutique. Freud s'est occupé de l'utilisation de la cocaïne comme analgésique, et il a laissé de côté sa valeur anesthésique.

Mais enfin, nous sommes là à évoquer un trait de la personnalité de Freud. On peut sans doute se poser la question de savoir si, comme disait Z*, il se réservait à un meilleur destin. Mais aller jusqu'à dire que s'orienter vers la psychopathologie, ce fut pour lui une compensation, je crois que c'est un peu excessif. Si nous lisons les travaux publiés sous le titre La Naissance de la psychanalyse et le premier manuscrit retrouvé où figure la théorie de l'appareil psychique, nous nous apercevons qu'il est bien dans la voie de l'élaboration théorique de son temps sur le fonctionnement mécanistique de l'appareil nerveux – tout le monde, d'ailleurs, l'a reconnu.

Il faut d'autant moins s'étonner que des métaphores électriques s'y mêlent. Mais il ne faut pas non plus oublier que c'est dans le domaine de la conduction nerveuse que, pour la première fois, le courant électrique a été expérimenté, sans qu'on sache quelle en serait la portée.

 

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Z* : – Je crois que, du point de vue clinique, la notion de résistance représente bien une expérience que nous sommes tous amenés à faire une fois ou l'autre avec presque tous les patients dans notre pratique – il résiste et ça me rend furieux.

 

– Quoi? Qu'est-ce?

 

Z* : – Cette expérience extrêmement désagréable où on se dit – il était sur le point de trouver, il pourrait trouver lui-même, il le sait sans savoir qu'il le sait, il n'a qu'à se donner la peine de regarder dessus, et ce bougre d'imbécile, cet idiot, tous les termes agressifs et hostiles qui nous viennent à l'esprit, il ne le fait pas. Et la tentation qu'on a de le forcer, de le contraindre, ...

 

– Ne titillez pas trop là-dessus.

 

M. Hyppolite : – La seule chose qui permette à l'analyste d'être intelligent, c'est quand cette résistance fait passer l'analysé pour un idiot. Cela donne une haute conscience de soi.

 

Tout de même, le piège du contre-transfert, puisqu'il faut l'appeler ainsi, est plus insidieux que ce premier plan.

 

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Z* : – Au pouvoir direct sur les êtres humains, Freud substitue le pouvoir indirect et plus acceptable que la science donne sur la nature. On revoit ici le mécanisme de l’intellectualisation, comprendre la nature et par là même se la soumettre, formule classique du déterminisme, ce qui renvoie par allusion à ce caractère autoritaire de Freud qui ponctue toute son histoire, et particulièrement ses relations avec les hérétiques aussi bien qu'avec ses disciples.

 

Je dois dire que si je parle dans ce sens, je n'ai pas été jusqu'à en faire la clef de la découverte freudienne.

 

Z* : – Je ne pense pas non plus en faire la clef mais un élément intéressant à mettre en évidence. Dans cette résistance, l'hypersensibilité de Freud à la résistance du sujet n'est pas sans se rapporter à son propre caractère.

 

Qu'est-ce qui vous permet de parler de l'hypersensibilité de Freud?

 

Z* : – Le fait que lui l'ait découverte, et pas Breuer, ni Charcot, ni les autres. C'est quand même à lui que c'est arrivé, parce qu’il l'a senti plus vivement, et il a élucidé ce qu'il avait ressenti.

 

Vous croyez que le fait de mettre en valeur une fonction comme la résistance signifie chez le sujet une intolérance particulière à ce qui lui résiste ? N'est-ce pas, au contraire, d'avoir su la dominer, aller ailleurs et bien au-delà, qui a permis à Freud d'en faire un des ressorts de la thérapeutique, un facteur qu'on peut objectiver, dénommer et manier? Vous croyez que Freud est plus autoritaire que Charcot ? – alors que Freud, autant qu'il le peut, renonce à la suggestion pour laisser le sujet intégrer ce dont il est séparé par des résistances. En d'autres termes, est-ce chez ceux qui méconnaissent la résistance qu'il y a moins d'autoritarisme, ou chez celui qui la reconnaît comme telle? J'aurais plutôt tendance à croire que quelqu'un qui, dans l'hypnotisme, cherche à faire du sujet son objet, sa chose, à le rendre souple comme un gant pour lui donner la forme qu'il veut, pour en tirer ce qu'il veut, est, plus que Freud, poussé par un besoin de dominer et d'exercer sa puissance. Freud paraît au contraire respectueux de ce qu'aussi bien on appelle communément la résistance de l'objet.

 

Z* : – Assurément.

 

Je crois qu'il faut être ici extrêmement prudent. Nous ne pouvons pas manier si aisément notre technique. Quand je vous parle d'analyser l'oeuvre de Freud, c'est pour y procéder avec toute la prudence analytique. Il ne faut pas faire d'un trait caractériel une constante de la personnalité, et moins encore une caractéristique du sujet. Il y a, là-dessus, sous la plume de Jones, des choses très imprudentes, mais qui sont quand même plus nuancées que ce que vous avez dit. Penser que la carrière de Freud a été une compensation de son désir de puissance, voire de sa franche mégalomanie, dont il reste d'ailleurs des traces dans ses propos, je crois que c'est... Le drame de Freud, au moment où il découvre sa voie, ne peut pas se résumer ainsi. Nous avons tout de même assez appris dans l'analyse pour ne pas nous sentir obligés d'identifier Freud rêvant de dominer le monde à Freud initiateur d'une vérité nouvelle. Cela ne me semble pas relever de la même cupido, si ce n'est de la même libido.

 

M. Hyppolite : – Il me semble quand même – sans accepter intégralement les formules de Z* et les conclusions qu'il en tire – que, dans la domination de Charcot par hypnotisme, il ne s'agit que de la domination sur un être réduit à l'objet, de la possession d'un être qui n'est plus maître de lui. Tandis que la domination freudienne, c'est vaincre un sujet, un être qui a encore une conscience de soi. Il y a donc une volonté de domination plus forte dans la domination de la résistance à vaincre que dans la suppression pure et simple de cette résistance – sans qu'on puisse en tirer la conclusion que Freud ait voulu dominer le monde.

 

S'agit-il de domination dans l'expérience de Freud? Je fais toujours des réserves sur bien des choses qui ne sont pas indiquées dans sa façon de procéder. Son interventionnisme, en particulier, nous surprend si nous le comparons à certains principes techniques auxquels nous accordons maintenant une importance. Mais il n'y a dans cet interventionnisme nulle satisfaction d'avoir remporté la victoire sur la conscience du sujet, contrairement à ce que dit Hyppolite, moins assurément que dans les techniques modernes, qui mettent tout l'accent sur la résistance. Chez Freud, nous voyons une attitude plus différenciée, c'est-à-dire plus humaine.

Il ne définit pas toujours ce qu'on appelle maintenant interprétation de la défense, ce qui n'est peut-être pas la meilleure façon de dire. Mais au bout du compte l'interprétation du contenu joue chez Freud le rôle d'interprétation de la défense.

Vous avez raison d'évoquer ça, Z*. C'est que cela est pour vous. J'essaierai de vous montrer par quel biais se présente le danger d'un forçage du sujet par les interventions de l'analyste. Il est beaucoup plus manifeste dans les techniques dites modernes – comme on dit en parlant de l'analyse comme on parle des échecs – qu'il ne l'a jamais été dans Freud. Et je ne crois pas que la promotion théorique de la notion de résistance puisse servir de prétexte à formuler à l'égard de Freud cette accusation qui va radicalement en sens contraire de l'effet libérateur de son oeuvre et de son action thérapeutique.

Ce n'est pas un procès de tendance que je vous fais, Z*. C'est une tendance que vous manifestez, bel et bien. Certes, il faut avoir un esprit d'examen, de critique, même vis-à-vis de l'oeuvre originale, mais, sous cette forme, ça ne peut servir qu'à épaissir le mystère, et pas du tout à le mettre au jour.

 

 

20 ET 27 JANVIER 1954.